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Interview exclusive : Le doudou dans la psychologie enfantine

Nous avons invité Anne Dumont, médecin, pédopsychiatre et maman de deux petites filles, pour discuter du sujet du doudou. A quoi sert-il ? Est-ce qu’il est si important ? Et autres questions que nous nous sommes déjà tous posé en tant que parents…

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La Pelucherie : Hello Anne, en quelques mots, qui es-tu ?

Anne : Je suis Anne Dumont, médecin, psychiatre, maman de deux petites filles de 5 ans et 2 ans. J’ai été formée à la psychologie de l’enfant et de la maman. La question du doudou est très abordée chez les parents car il arrive que des enfants soient très collés à leur doudou et parfois ce n’est pas du tout le cas avec des enfants qui n’en ont pas du tout ! La question du doudou peut donc susciter beaucoup de questions, et aujourd’hui je suis là pour y répondre…

La Pelucherie : Alors, notre première question ce serait tout simplement : à quoi sert le doudou pour un bébé ?

Anne : C’est un objet de sécurité avant toute chose. Un objet de sécurité affective, mais également quelque chose qui permet l’organisation et la construction de la pensée du bébé. Cette construction passe par un objet, qu’on appelle objet transitionnel et qui permet de faire le trait d’union entre la vie intérieure du bébé, ses ressentis, ses émotions, et le monde extérieur. Cet objet va lui permettre d’appréhender le monde avec plus de facilité, et de transformer ses affects, car les émotions sont très puissantes chez les tout-petits, beaucoup plus que chez les adultes. Le doudou permet donc de réguler ces émotions.

La Pelucherie : C’est donc pour ça que dès qu’ils ont un petit chagrin, les bébés l’attrapent…

Anne : Effectivement, puisque le doudou structure la pensée et l’émotion, il permet au bébé de se sentir davantage en sécurité et de pallier les différentes formes d’anxiété qu’il rencontre dans le monde extérieur. C’est donc un objet qui indirectement permet à l’enfant d’aller explorer ce monde qui l’entoure. Le doudou est en fait un objet qui guide le bébé vers l’autonomie. Il devient donc au fil du temps un objet de sécurité, mais à l’origine il est un régulateur de la pensée et de la vie psychique… Le doudou est donc bien plus important que ce que l’on imagine ! Il permet au bébé de se représenter le monde. Il est comme un sésame lui permettant d’accéder au monde extérieur. Car le monde du tout-petit se limite à sa maman et à son papa. Le doudou est par conséquent l’objet qui facilite le passage du monde des parents au monde extérieur.

La Pelucherie : Quand mes enfants ont un petit chagrin, je leur donne tout de suite leur doudou pour les rassurer, est-ce que c’est une bonne pratique ?

Anne : Oui, car je crois que c’est un objet qui doit toujours être à disposition du bébé. Dans tous les cas, le doudou est comme un prolongement du bébé, donc il l’attrapera quand il en sentira le besoin. En fait, c’est plus précisément un objet qui est à la fois le prolongement du tout-petit et celui de la maman. Donc le fait que la maman ou le papa le donne au bébé n’est pas un problème. Par contre, il faut aussi que les parents soient disponibles pour rassurer bébé. Le doudou n’est pas un prétexte pour fuir le chagrin de bébé (Rires).

La Pelucherie : Est-ce qu’on peut intervenir sur le choix du doudou ?

Anne : Le bébé a besoin de choix mais aussi de s’approprier l’objet qu’il aura identifié comme le sien. Je pense qu’il faut proposer plusieurs doudous au bébé et qu’ensuite l’enfant choisira lui-même son doudou. Ça peut être un objet plus ou moins plat, une peluche, un petit personnage qui ne sera pas nécessairement un animal. Il y a des bébés qui adorent qu’il y ait un petit fil à tirer, un petit bout de laine à sucer, ou alors des étiquettes à mâchouiller. Il faudra voir ce qu’il faut au bébé. Mais par contre, ne lui donnez pas qu’un seul doudou ! Il faut qu’il ait l’embarras du choix et c’est lui qui choisit son style de doudous ! C’est un peu triste pour commencer sa vie que le bébé n’ait pas le choix, donc il vaut mieux privilégier plusieurs modèles pour que l’enfant puisse sélectionner son doudou fétiche.

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La Pelucherie : Une question qui taraude aussi souvent les parents, c’est celle de la sortie : l’enfant peut-il sortir avec le doudou ?

Anne : L’enfant doit également pouvoir avoir le choix d’emmener ou pas son doudou avec lui lorsqu’il sort de la maison, puisque c’est un objet qui peut avoir une fonction émotionnelle très importante. Bien sûr, l’enfant va progressivement se détacher de son doudou. Tout est différent pour un enfant de 2 ans et un enfant de 5 ou 6 ans qui commence à aller à l’école et va en avoir un usage différent. Là où l’enfant de 2 ans aura davantage tendance à l’emmener partout avec lui, l’enfant de 5 ou 6 ans ne sera pas nécessairement dérangé de le retrouver seulement le soir, après l’école. Donc l’usage du doudou évolue avec l’âge : il est très progressif et c’est bien naturel ! Un doudou est un objet dont on n’a pas à faire le deuil : la séparation de l’enfant et de son doudou est progressive et se fait naturellement.

La Pelucherie : (Rires) Pour ma part, j’avais tendance je l’avoue à ne pas laisser sortir le doudou de la maison parce que j’avais peur que mon enfant perde son doudou. Du coup je lui donnais un substitut quand on sortait de la maison pour qu’il ait quand même une chose à laquelle se raccrocher…

Anne : Mais le problème, c’est que l’enfant n’est pas dupe (Rires). Il vaut mieux anticiper et être une maman organisée, c’est-à-dire garder en amont plusieurs exemplaires du doudou fétiche. Il faut toujours avoir un doudou de rechange par exemple dans la valise – mais attention à ce que le bébé ne le voit pas, car il risquerait de prendre ensuite les deux doudous à chaque déplacement (Rires) ! Il ne faut pas avoir une quantité exponentielle de doudou, mais assez de doudous de rechange pour pouvoir être sûrs que si bébé perd son doudou, il ne sera pas traumatisé.

La Pelucherie : C’est toujours aussi le drame de laver le doudou…

Anne : S’il y en a un de rechange, il n’y a pas forcément de drame. La difficulté, c’est plutôt d’identifier le moment adéquat pour laver le doudou.

La Pelucherie : Et à quel moment un enfant choisit son doudou ?

Anne : Le choix se fait généralement à l’âge où le bébé peut attraper son doudou, donc le plus souvent vers 4/5 mois. Instinctivement, les bébés vont avoir l’envie de prendre un doudou si on leur en présente un dans leur champ de vision. Les gestes précurseurs de l’enfant peuvent aussi être de bons indicateurs : le bébé suce son pouce, tète le bout d’un drap, met son poing dans sa bouche, etc. Ces attitudes sont transitionnelles. Par la suite, les tout-petits vont pouvoir adopter des pratiques ou activités auto-érotiques qui vont contribuer à les apaiser : un bébé qui a tendance à se bercer dans son lit, le geste de se toucher les cheveux, toutes ces gestuelles vont permettre un apaisement chez l’enfant.

La Pelucherie : Et donc, à partir de 4-5 mois, est-ce que c’est grave si mon enfant n’a toujours pas de doudou ?

Anne : C’est rare mais ce n’est pas pathologique. En réalité le petit peut avoir trouvé des moyens de créer une zone transitionnelle sans doudou. Par exemple, il y a des mamans ou des papas qui deviennent doudou pour les enfants. Il faut déculpabiliser les parents qui ont des enfants sans doudou. La seule différence est qu’ils seront beaucoup plus sollicités dans les périodes de transition du petit, par exemple pendant le moment de l’endormissement. Il leur faudra donc redoubler d’attention, car ces enfants demanderont souvent d’être davantage consolés que les autres, puisqu’ils auront investis leurs parents comme doudous. Si vous vous rendez compte que votre enfant est plus anxieux que les autres car il a tendance à s’accrocher davantage à vous, ce n’est pas pathologique. Ce qui compte, c’est de trouver des solutions pour que l’enfant ne soit pas en souffrance et vous non plus. Mais ça vient renseigner aussi très souvent sur le profil émotionnel des parents, et sur comment ils ont géré leurs liens d’attachement étant petits. Souvent, les parents qui deviennent doudous ont réussi à dormir seuls plus tard, ont rencontré des problèmes pour être rassurés étant jeunes, etc. Mais il peut bien évidemment y avoir aussi des exceptions…

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La Pelucherie : Il n’y a pas d’âge non plus pour lâcher son doudou ?

Anne : Il n’y a pas d’âge dans le sens où le doudou est là pour adoucir les moments de transition, donc il est là aussi pour devenir adulte. Le doudou qui a une fonction de symbolisation va amener l’enfant vers la vie imaginaire et la structuration de ses pensées. Il accompagne donc l’enfant vers des choses qui vont l’inciter à se séparer de lui, comme l’art, la culture, la vie imaginaire. Car toutes ces activités permettent de se séparer du doudou. Et quand bien même, il y a toujours des situations où quelqu’un peut avoir besoin de revenir à son doudou. Dans les temps de crise comme celui que l’on traverse en ce moment, certains adultes peuvent ressentir le besoin de reprendre leur doudou de bébé. Plus généralement, pour les personnes dont la période transitionnelle ne s’est pas totalement accomplie, le besoin de revenir à l’objet du doudou peut survenir assez souvent.

La Pelucherie : Donc en tant que parents, on doit tout accepter du doudou…

Anne : Oui, c’est ça, en tant que parent, je crois qu’il faut qu’on tolère que le doudou soit sale, qu’il sente mauvais, et parfois même qu’il soit moche (Rires) ! Et s’il est trop propre et que le bébé ne veut pas le prendre, je conseille à la maman de dormir avec dans sa chemise de nuit pour que le doudou prenne son odeur et qu’il soit plus facilement accepté par le bébé.

La Pelucherie : Si on ne peut pas racheter le même doudou, comment peut-on aider l’enfant à retrouver un autre doudou ?

Anne : J’ai déjà été confrontée à cette situation, et on a réussi à racheter in extremis trois ans après le fameux doudou. Du coup pour ma deuxième fille on a été plus prévoyants et on a acheté son doudou fétiche en cinq exemplaires. Normalement donc, on est tranquilles (Rires) ! Il y en a un qui est à la crèche, un qui reste chez la grand-mère, et si elle en perd un il y en aura toujours un autre de rechange.

La Pelucherie : Pour ma première fille j’avais acheté deux fois le même doudou, mais comme elle avait déjà investi le premier exemplaire, elle n’a jamais voulu du deuxième. Ça veut donc dire qu’il faudrait alterner entre les exemplaires des doudous dès la naissance ?

Anne : Oui, par exemple quand l’un des doudous est au sale, l’autre prend le relais, pour dès le début faire tourner entre les exemplaires et ne pas déboussoler bébé. En fait, on peut toujours faire en sorte de changer le doudou, mais ce ne sera jamais le même attachement qu’avec le doudou originel de l’enfant, c’est-à-dire celui qui l’a accompagné depuis sa naissance.

La Pelucherie : J’ai l’impression que le doudou c’est un phénomène nouveau, quand nous étions petites cet objet était moins important…

Anne : Dans les années 1980, il y avait des peluches et des nin-nins, c’est-à-dire des doudous sous la forme de draps. On en a toujours aujourd’hui, mais ils sont bien sûr moins mignons que certains des doudous qui sont proposés actuellement. Aujourd’hui, peut-être qu’on fait plus attention aux doudous car on est très à l’écoute des besoins de l’enfant, plus qu’avant. Dans les années 1930/1950 par exemple, on croyait que le bébé ne souffrait pas et n’avait pas de système nerveux. Du coup, on opérait les bébés sans anesthésie. Aujourd’hui, on a beaucoup plus conscience que le bébé est une personne à part entière. Donc on est davantage tournés vers les objets des bébés, dont le doudou, que les générations précédentes. Ce qui pourrait expliquer pourquoi on leur a donné des apparences plus variées, avec de la couleur, des matières, etc.

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La Pelucherie : Fait-il s'inquiéter si un enfant n'a pas de doudous ?

Anne : Un enfant est immature, et ce sur tous les plans : réflexif, émotionnel, etc. Il aura donc toujours besoin d’aide extérieure pour se calmer. Et pour cela, il a besoin d’un objet comme le doudou ou d’une personne, comme la maman, le papa, ou bien un grand-parent etc. Il ne faut donc pas se rendre malade si votre enfant n’a pas de doudou. En revanche, il faut se demander pourquoi on est la seule personne à pouvoir l’apaiser.

La Pelucherie : Mon fils a 9 ans et a du mal à se détacher de son doudou. Or il a peur que l’on se moque de lui à l’école du fait qu’il le garde. Que faire ?

Anne : Il ne faut pas trop s’inquiéter, simplement trouver d’autres occupations qui pourraient l’apaiser, comme des activités créatives, du théâtre. Plutôt privilégier, donc, des activités où son expression est valorisée.

La Pelucherie : En tant que parent, il faut donc toujours accompagner son enfant avec son doudou. Et lui apporter discrètement de l’aide par le biais d’activités qui vont favoriser sa transition vers le détachement du doudou.

Anne : Exactement, il va falloir l’amener progressivement vers des activités qui vont l’aider à prendre confiance en lui et à pouvoir être capable d’affronter le monde extérieur sans son doudou. Il faut donc savoir quelles activités mobiliser pour l’aider à stimuler son imaginaire. Pour certains enfants, ça peut être des activités créatives et artistiques, pour d’autres des activités sportives, tout dépend donc des centres d’intérêt de l’enfant.

La Pelucherie : Est-ce que c’est grave si un adulte conserve son doudou ?

Anne : Non, je ne crois pas que ce soit grave. C’est tout à fait normal, mais il faut aller voir si derrière ce besoin de conservation du doudou il n’y a pas une part de peur du monde extérieur, peut-être une forme de phobie sociale.

La Pelucherie : Certains doudous sont très grands et d’autres sont petits, est-ce un hasard ou une question d’opportunité ?

Anne : C’est une question d’opportunité, mais il faut tout de même garder en tête qu’on doit pouvoir l’envoyer en voyage !

La Pelucherie : Comment faire lorsque le doudou est une tétine et que bébé a du mal à s’en séparer ?

Anne : La tétine n’est pas considérée comme un doudou par les pédopsychiatres. Pour pouvoir s’en séparer, je vous conseille d’aller consulter un dentiste ou un orthodontiste pour qu’il vous propose une solution adéquate.

La Pelucherie : Un enfant peut-il changer de doudou en cours de route ?

Anne : Bien sûr, du moment que c’est un choix naturel, spontané et non influencé, c’est tout à fait possible !

La Pelucherie : On a fait le tour de toutes les questions ! Un grand merci Anne pour toutes ces précisions. Prochain rendez-vous : le doudou en situation de crise !

 

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